Par Alexandra Gaboriau, consultante chez CHEFCAB
« Le coup de poker présidentiel sonne le glas pour l’ancienne configuration politique et pave la voie à une campagne éclair pour les législatives de 2024. »
Le coup de poker présidentiel sonne le glas pour l’ancienne configuration politique et pave la voie à une campagne éclair pour les législatives de 2024. Sur fond d’inquiétude générale pour tous les secteurs d’activité, et à l’approche du vote du budget prévu dans six mois, il convient de porter un regard attentif au programme du parti annoncé favori dans les sondages : le Rassemblement national et ses 34% d’intentions de vote, selon un sondage Harris Interactive. À deux semaines du premier tour, les investitures des partis peinent à se dessiner, et les potentiels accords avec le RN divisent au sein même des partis politiques, des Républicains à Reconquête, les programmes des candidats sont en cours de finalisation.
« S’agissant du CPF, les prises de position du RN demeurent limitées, voire inexistantes (…) »
Alors que les grands chantiers sociaux engagés par le gouvernement actuel continuent de guider les politiques publiques, quelle est la boussole du RN en matière d’emploi et de formation professionnelle ? S’agissant du CPF, les prises de position du RN demeurent limitées, voire inexistantes, mis à part la volonté de préciser dans la loi que le dispositif concerne aussi « ceux qui s’engagent pour leur pays dans le cadre de la réserve civile de la police nationale ». En 2022, les débats sur la loi visant à lutter contre les abus et les fraudes au compte personnel de formation n’ont pas été le théâtre d’un engagement fort de la part des députés RN, témoignant d’un faible intérêt pour le sujet. Sur le chantier de l’apprentissage, le RN proposait lors des dernières élections présidentielles une aide à l’embauche aux apprentis et alternants adaptée selon l’âge : 5 500 euros pour les mineurs et 8 000 euros pour les jeunes adultes de 18 à 25 ans. Une mesure faisant écho à la récente prolongation des aides à l’embauche d’alternants à hauteur de 6 000 euros pour la première année de contrat. Ainsi, l’introduction du critère d’âge offre une nouvelle perspective qu’il convient de prendre en considération pour les acteurs de formation.
« Si une majorité RN se dessine à l’Assemblée nationale, ou si le parti présidé par Jordan Bardella dépose ses cartons à Matignon, celui-ci envisage de transformer radicalement le marché de l’emploi et le système social en France. »
Par ailleurs, sans doute faut-il s’attendre à des discussions houleuses au Parlement lorsqu’il s’agira d’examiner en séance publique les textes faisant référence au controversé « patriotisme économique », marqueur phare de l’ancienne candidate à la Présidentielle. Si une majorité RN se dessine à l’Assemblée nationale, ou si le parti présidé par Jordan Bardella dépose ses cartons à Matignon, celui-ci envisage de transformer radicalement le marché de l’emploi et le système social en France. Les vœux du RN, formulés lors de la campagne présidentielle de 2022, intègrent le renforcement de la priorité nationale à presque tous les niveaux. Parmi les principales mesures, la fin du travail détaché qui vise à contrer la « délocalisation déguisée » et à promouvoir un protectionnisme économique au bénéfice des travailleurs nationaux. En parallèle, une proposition de loi avait été déposée en mai dernier par le groupe RN, visant à lutter contre le travail illégal et l’emploi d’étrangers non autorisés à travailler via un renforcement des sanctions à l’encontre des employeurs contrevenants. Le texte déposé à l’Assemblée nationale et renvoyé en commission n’a cependant pas encore fait l’objet d’un examen parlementaire. Plus récemment, lors des européennes, figurait dans le programme du parti à la flamme l’autorisation de prioriser les projets nationaux dans les marchés publics pour “défendre nos emplois”, à l’heure où la France est pour la cinquième fois consécutive la destination la plus attractive pour les investissements étrangers en Europe.
« Alors que le parti est aux portes du pouvoir, le RN semble flatter les milieux économiques en affichant son supposé sérieux budgétaire. »
Enfin, si Marine Le Pen s’affiche en opposante farouche aux réformes emblématiques de l’actuel Président de la République, certaines prises de position jettent le voile sur une ambivalence trouble du RN. Alors que le Rassemblement National a martelé son souhait d’abroger la réforme des retraites afin de baisser l’âge de départ à 60 ans pour ceux ayant commencé à travailler avant 20 ans, la mesure proposée par le RN ne figurera pas de façon prioritaire à l’ordre du jour de son programme pour les législatives anticipées. Jordan Bardella rétropédalait ce mardi 11 juin sur la réforme des retraites soulignant la nécessité de “faire des choix” face au “mur de la dette” avant de conclure : “économiquement, je suis raisonnable”. Alors que le parti est aux portes du pouvoir, le RN semble flatter les milieux économiques en affichant son supposé sérieux budgétaire. La profession de foi du parti sera concentrée sur les « urgences » définies par le RN à savoir l’immigration, l’insécurité et le pouvoir d’achat. Un pari risqué lorsque l’on sait que la promesse du RN d’abroger le système des retraites proposé par Emmanuel Macron avait hissé sa cote de popularité au moment de l’examen du texte : +7 points, si un scrutin avait eu lieu au moment de l’annonce par rapport aux législatives de juin 2022 (selon un sondage Ifop/Fiducial).
Depuis dimanche et l’annonce surprise du chef de l’Etat, les marchés financiers ont fléchi sous le poids de l’incertitude politique : l’indice parisien reculant alors de 1,2% en début de semaine et un patronat qui se mut dans le débat public. Les investisseurs, en particulier étrangers, pourraient donc choisir de réduire légèrement leur exposition à l’indice français.
À l’aube d’un scrutin déterminant pour l’avenir du pays, les orientations politiques seront scrutées de près par les acteurs économiques et financiers en quête de stabilité.