Par Camille Bourgeois, consultante chez CHEFCAB

Il ne vous faudra pas plus de quelques clics sur le web pour identifier des centaines d’articles de médias nationaux ou professionnels portant sur la santé mentale au travail. Le stress, les conditions de travail, les risques physiques et psychosociaux sont en effet des préoccupations majeures sur lesquelles les spécialistes, les syndicats et les décideurs publics sont de plus en plus amenés à se positionner publiquement. Reconnaissant depuis quelques années l’importance de la santé mentale en matière de productivité ou de satisfaction au travail, les entreprises elles-mêmes sont nombreuses à investir dans des programmes de bien-être pour leurs employés.

« La santé mentale des personnes au chômage, traitée occasionnellement par quelques sociologues, est la grande absente des débats politiques et médiatiques.  »

Le sujet de l’équilibre mental constitue cependant un angle mort lorsque le travail s’arrête. La santé mentale des personnes au chômage, traitée occasionnellement par quelques sociologues, est la grande absente des débats politiques et médiatiques. À l’intersection de problématiques de santé publique et économiques, celle-ci mérite pourtant toute notre attention.

« Dans une société où le travail participe en grande partie à la définition des identités, perdre son emploi équivaut à perdre un marqueur social fort auprès de ses pairs. »

Le chômage n’est pas qu’un simple statut administratif, il s’agit également d’une période de transition qui peut entraîner des effets dévastateurs sur la santé mentale des personnes concernées. Les études parues sur le sujet soulignent notamment les problématiques d’estime de soi des demandeurs d’emploi. Dans une société où le travail participe en grande partie à la définition des identités, perdre son emploi équivaut à perdre un marqueur social fort auprès de ses pairs. L’absence de routine et le sentiment de passivité peuvent également participer à renforcer le sentiment  d’exclusion des demandeurs d’emploi. Enfin, l’incertitude quant à l’avenir, couplée aux éventuelles préoccupations financières, crée un terreau fertile pour le développement de troubles mentaux plus ou moins avancés. Or, de telles dispositions ne facilitent pas le retour à l’emploi des personnes sans emploi, et peuvent au contraire participer à renforcer encore davantage leur isolement et retarder leur retour à l’activité.

« Le diagnostic est sévère, puisqu’il identifie la principale institution dédiée aux demandeurs d’emploi, France Travail, comme inadaptée aux besoins des chômeurs. »

S’appuyant sur ce constat, une récente étude de l’Institut de psychodynamique du travail commandée par la DARES analyse les mesures d’accompagnement des chômeurs et évalue leur efficacité. Le diagnostic est sévère, puisqu’il identifie la principale institution dédiée aux demandeurs d’emploi, France Travail, comme inadaptée aux besoins des chômeurs. L’enquête regrette l’objectif « d’activation » de l’institution, c’est-à-dire sa volonté de prioriser le retour à l’activité des personnes chômeuses à leur bien-être mental. Selon l’étude, les logiques d’activation entretiennent un déni de la réalité des chômeurs, ce qui participe à renforcer le décalage entre leur profil et les attentes des employeurs. La mise en place d’un accompagnement davantage basé sur l’écoute serait un moyen de reconnaître leurs difficultés tout en leur permettant de refaire l’expérience de la dignité. À long terme, une telle approche favoriserait leur bien-être mental ainsi que leur retour à l’emploi. 

« Concrètement, un accompagnement psychologique devrait être conseillé et proposé automatiquement, comme étape intégrante du parcours de retour à l’emploi. »

La lutte contre le chômage, au-delà de l’enjeu économique, constitue également un défi humain qu’il est indispensable de prendre en compte. La publication de ce rapport intervient à un moment clé pour France Travail, qui devra dès le 1er janvier 2025 inscrire automatiquement les bénéficiaires du RSA et leurs ayants droit dans leurs fichiers afin de les accompagner vers la reprise de l’emploi. Or, pour une grande partie d’entre eux, ce sont des difficultés personnelles propices à des problématiques de santé mentale, qui entravent leur capacité à se mobiliser autour de la recherche d’activité. Concrètement, un accompagnement psychologique devrait être conseillé et proposé automatiquement, comme étape intégrante du parcours de retour à l’emploi. Par ailleurs, et bien qu’elle ne doive pas être le centre de l’accompagnement des chômeurs, la reprise d’une activité économique peut participer à revaloriser l’auto-estime des demandeurs d’emploi. Pour ce faire, le développement des compétences des chômeurs est indispensable afin de permettre aux individus de s’adapter aux évolutions du marché du travail et de rester en phase avec ses attentes. 

Pourtant, la question de l’accompagnement psychologique des demandeurs d’emploi peine à émerger, en l’absence de catégorie sociale unifiée représentant les chômeurs, et à même de mettre le sujet à l’agenda politique et médiatique. Afin de déclencher l’intérêt des décideurs, c’est donc à tous les citoyens de porter cette cause et de la faire émerger dans le débat public, au nom de la santé publique et économique du pays.