Par Corentin Dattin, consultant senior chez CHEFCAB

S’il avait voulu le faire exprès, il ne s’y serait pas pris autrement. D’aucuns parleront de courage politique, d’autres d’une énième tentative de jeter l’opprobre sur la fonction publique. Toujours est-il qu’en l’espace de quelques jours le ministre de la fonction publique fraîchement nommé, Guillaume Kasbarian, s’est mis à dos une bonne partie des fonctionnaires. En profitant des discussions sur le PLFSS 2025 pour mettre sur la table la question des jours de carence et des arrêts maladies dans la fonction publique, il a anéanti le semblant d’entente cordiale que son prédécesseur, Stanislas Guerini, avait tenté de construire durant de longs mois avec les partenaires sociaux.

«  Rappelons par ailleurs que la fonction publique, territoriale notamment, connaît un inversement inquiétant de sa pyramide des âges. »

Les années passent et, malheureusement, les mêmes ficelles sont actionnées lorsqu’il est question de la fonction publique dans le débat national : à chaque nouveau ministre de tutelle son lot de formules chocs contribuant à faire couler l’encre et pointer du doigt les fonctionnaires. Stanislas Guérini avait ainsi déclaré vouloir “lever le tabou du licenciement dans la fonction publique”, et avant lui Gérald Darmanin déclarait que “l’objectif” de 120 000 postes de fonctionnaires supprimés est “atteignable”, comme s’il ne s’agissait que d’une variable d’ajustement. À l’heure où la fonction publique dans son ensemble souffre d’un déficit d’attractivité pour ses métiers, malgré les efforts de modernisation engagés ces dernières années, on peut regretter que le débat sur son avenir se borne à des discussions pour déterminer si, oui ou non, les fonctionnaires sont de trop gros consommateurs d’arrêts maladie. Rappelons par ailleurs que la fonction publique, territoriale notamment, connaît un inversement inquiétant de sa pyramide des âges. À titre d’exemple, tous versants confondus, 1 agent de catégorie C sur deux est âgé de 50 ans ou plus. Or, les statistiques montrent bien que le taux d’absentéisme pour cause de maladie est plus élevé chez les seniors que pour le reste de la population.  

«  Il y a, de fait, un risque pour que cette politique mette sa pierre à l’édifice de la dégradation de l’attractivité de la fonction publique.»

En proposant dans les colonnes du Figaro de passer le nombre de jours de carence des fonctionnaires d’un à trois et de réduire de 100 à 90 % le remboursement des arrêts pour les trois premiers mois d’un congé maladie ordinaire, le ministre de la fonction publique entend aligner le régime des fonctionnaires sur celui des salariés. Néanmoins, en considérant la réalité des pratiques du privé (conventions collectives, accord d’entreprises…), il semblerait que les mesures portées par le gouvernement aligneraient la fonction publique sur la situation des salariés exerçant dans les entreprises moins-disantes, qui ne représentent pas la majorité. Il y a, de fait, un risque pour que cette politique mette sa pierre à l’édifice de la dégradation de l’attractivité de la fonction publique.

«  Le débat né ces derniers jours autour des arrêts maladie dans la fonction publique doit nous inciter à changer de fusil d’épaule dans la manière d’aborder ce sujet (…) »

Cette situation est d’autant plus regrettable que l’État pourrait emprunter une voie tout à fait différente, en adoptant la position de celui qui montre l’exemple. Dans un contexte de transformation du rapport au travail, accéléré par l’arrivée dans l’emploi d’une génération nouvelle qui ne perçoit pas l’investissement professionnel de ses parents comme le chemin impératif à suivre, la fonction publique a un rôle clé à jouer. Elle pourrait, par exemple, s’emparer pleinement de la question de la qualité de vie au travail et de l’équilibre vie personnelle – vie professionnelle. Particulièrement concernée, la fonction publique hospitalière observe depuis plusieurs années les conséquences d’une prise en compte insuffisante de ces nouvelles aspirations au travail, qui se traduisent par des démissions au sein de l’hôpital public au profit d’autres formes d’exercice (libéral, secteur privé, intérim…). Le débat né ces derniers jours autour des arrêts maladie dans la fonction publique doit nous inciter à changer de fusil d’épaule dans la manière d’aborder ce sujet : interrogeons-nous sur les mesures à prendre pour améliorer les conditions de travail dans la fonction publique avant de s’attaquer au filet de protection des agents. Même si sans doute qu’à l’heure du fonctionnaire bashing et du coup de rabot budgétaire, un investissement en faveur de la fonction publique recueillera un soutien plus timide.