Par Corentin Dattin, consultant senior chez CHEFCAB
« Pas un jour ne passe sans qu’un nouveau plan de licenciement ne soit annoncé (…) »
Si les températures ont chuté à l’approche de la fin d’année, le ciel s’est également bien couvert au-dessus du paysage de l’emploi. La dégradation du marché du travail intérimaire depuis plusieurs mois sonnait comme un avertissement, ce segment de l’emploi étant généralement perçu comme un indicateur qui présage de l’évolution générale de l’emploi en France. Pas un jour ne passe sans qu’un nouveau plan de licenciement ne soit annoncé : il y a eu les plus médiatisés, tels que Michelin, Auchan, Général Electric ou Arcelor Mittal, puis tous ceux dont on parle moins mais qui plongent leur territoire dans la difficulté : les 70 emplois menacés de l’usine Delpeyrat dans la commune de Vic-Fezensac, qui compte 4 000 âmes, ou les 120 licenciements qui pourraient survenir au sein de la papeterie Stenpa à Stenay, commune de 2 400 habitants. La situation se dégrade particulièrement dans le champ de l’industrie, notamment automobile, ou dans la filière du bâtiment et de la construction. Cette dernière attendait avec impatience le soutien à la construction de maisons individuelles via le prêt à taux zéro prévu dans le projet de loi de finances. Las, il faudra attendre avant de voir cette mesure éventuellement adoptée. En septembre, la CGT comptait 180 plans de suppressions d’emplois à travers le pays, menaçant 47 000 postes. Plus surprenant, des régions réputées pour leur dynamisme et ayant atteint le plein-emploi ne sont pas épargnées. C’est le cas des Pays de la Loire, particulièrement concernés par les plans sociaux qui s’enchaînent.
« A ce contexte difficile au plan économique, qui n’est peut-être que conjoncturel, il faut ajouter une situation politique inédite qui plonge le pays dans un brouillard institutionnel épais »
Dans ce contexte, la ministre démissionnaire du Travail Astrid Panosyan-Bouvet s’est voulue rassurante : « sans verser dans le catastrophisme », elle considère qu’il existe des tensions sur le marché du travail mais pas (encore) de retournement. Au troisième trimestre, le chômage a poursuivi sa remontée pour atteindre 7,4% de la population active. Chez les jeunes de 15 à 24 ans, l’évolution du taux de chômage sur un an avoisine tout de même les + 2,5 %. Alors, il faut reconnaître qu’entre l’objectif plein-emploi affiché depuis 2017, que l’on pouvait presque toucher du doigt il y a encore quelques mois, et les plans de sauvegarde qui s’accumulent, on peine à se faire une idée précise de la situation réelle dans laquelle se trouve le marché de l’emploi français. A ce contexte difficile au plan économique, qui n’est peut-être que conjoncturel, il faut ajouter une situation politique inédite qui plonge le pays dans un brouillard institutionnel épais. Une chose est certaine : les deux ne peuvent cohabiter bien longtemps. Mercredi soir, après que la censure ait été adoptée à l’Assemblée nationale, le patron du Medef a rapidement fait part de son inquiétude, considérant que « les entreprises ont besoin de retrouver très rapidement de la stabilité et de la visibilité ». Car pendant que 331 députés conduisent le gouvernement à la démission, le pays attend et regarde. Les mesures importantes à engager dans les champs du travail et de l’emploi ne pourront éternellement patienter face à des partis tournés vers leurs intérêts boutiquiers.
« Si la réforme doit se généraliser à l’ensemble des départements à partir du 1er janvier 2025, elle pourrait pâtir de la mauvaise santé des finances des départements, en première ligne pour accompagner les bénéficiaires du RSA vers l’emploi »
Le prochain gouvernement devra apporter des réponses claires sur sa politique de l’emploi, à commencer par l’apprentissage. En débat depuis des mois, des concertations venaient d’être engagées par le ministère du Travail. Censées aboutir en février, elles devaient poser les jalons d’une réforme du financement des CFA et définir un cadre nouveau de soutien public à l’apprentissage. Autre chantier, celui de la réforme du RSA et de la poursuite de la mise en orbite de France Travail. Si la réforme doit se généraliser à l’ensemble des départements à partir du 1er janvier 2025, elle pourrait pâtir de la mauvaise santé des finances des départements, en première ligne pour accompagner les bénéficiaires du RSA vers l’emploi. Plusieurs présidents de conseils départementaux ont monté le volume ces derniers jours pour alerter sur les tensions qui pèsent sur leur budget. En parallèle, les efforts demandés à France Travail en terme de réduction d’effectifs risquent d’entraîner une forme d’inertie dans la mise en application de la transformation du service public de l’emploi. Enfin, les choix budgétaires et politiques en matière d’évolution du coût du travail devront être précisés, alors que le gouvernement Barnier prévoyait une baisse des exonérations de cotisations patronales. Autant de dossiers qui attendent d’ores et déjà sur le bureau du prochain locataire de la rue de Grenelle.