Par Camille Bourgeois, consultante chez CHEFCAB
« L’argument affiché : « la réciprocité ». »
La nouvelle guerre commerciale déclenchée par Donald Trump n’a rien d’un accident diplomatique : c’est une stratégie économique assumée, brutale et contagieuse, qui rebat les cartes du commerce mondial. Avant d’annoncer la suspension temporaire de ces surtaxes, le président américain imposait le 2 avril dernier des droits de douane de 20 % sur les importations européennes, 34 % sur celles de Chine, et au moins 10 % sur la majorité des autres produits étrangers. L’argument affiché : « la réciprocité ». L’objectif réel : protéger les producteurs américains, rapatrier les chaînes de valeur, et forcer ses partenaires commerciaux à réagir dans la précipitation face à un bouleversement unilatéral des règles du jeu.
Le Canada a été l’un des premiers à encaisser le choc du virage protectionniste, dès le mois de février. En réponse, le gouvernement du Québec a présenté, fin mars, un budget 2025-2026 taillé pour renforcer sa résilience économique. Plus de 5,4 milliards de dollars seront mobilisés sur cinq ans pour soutenir l’innovation, stimuler l’activité dans les régions et accroître la compétitivité des entreprises. Dans un contexte d’exportations massivement affectées, le Québec fait le choix de l’anticipation et de la cohérence. Et la France, à son tour prise dans l’étau tarifaire américain, aurait tort de rester spectatrice.
« Dès le lendemain des annonces de la Maison-Blanche, le chef de l’État appelait à suspendre les investissements outre-Atlantique (…) »
Officiellement maintenue à 0,9 %, la croissance française pourrait chuter bien en deçà des 0,7 % anticipés par la Banque de France avant les annonces d’avril, une fois l’impact des nouvelles taxes intégré. L’hypothèse d’une entrée en récession ne peut plus être écartée. Dès le lendemain des annonces de la Maison-Blanche, le chef de l’État appelait à suspendre les investissements outre-Atlantique et promettait un accompagnement aux filières commerciales et industrielles.
Le modèle québécois a le mérite d’apporter une réponse rapide, structurée et lisible à ce choc commercial, en promettant de soutenir les PME, sécuriser l’investissement et réorienter les débouchés pour sortir de l’hyperdépendance nord-américaine. Autant de leviers que la France pourrait adapter pour construire une réponse budgétaire crédible et mobilisatrice.
Mais à condition d’en comprendre aussi les limites. Car si le Québec a pensé à ses entreprises, il a oublié ses travailleurs. Hormis une enveloppe dédiée à la formation dans la construction – un secteur effectivement sous tension, en lien avec les objectifs énergétiques d’Hydro-Québec – aucune mesure transversale de formation, de requalification ou de reconversion n’a été prévue. Le budget québécois est fort en capital, faible en compétences. C’est là son angle mort, et ce ne peut être celui de la France.
« Car la compétitivité ne se joue pas uniquement dans les usines ou les laboratoires, elle se construit aussi sur le terrain du travail et de la formation. »
Le prochain budget français devra sans doute intégrer une réponse d’urgence à la guerre commerciale. Mais il ne pourra se limiter à protéger les entreprises : il devra aussi sécuriser les parcours professionnels, accompagner les reconversions, investir dans les compétences. Car la compétitivité ne se joue pas uniquement dans les usines ou les laboratoires, elle se construit aussi sur le terrain du travail et de la formation. C’est là que la France peut dépasser le modèle québécois, en réconciliant puissance économique et cohésion sociale. À une condition : que le prochain budget, attendu à l’automne, ne soit pas seulement un réflexe défensif, mais un levier de transformation profond de l’économie dans son ensemble.