Par Nicolas Citti, consultant chez CHEFCAB
« Entre simplification administrative, refonte de la Politique agricole commune, concurrence et nécessité de mieux rémunérer les agriculteurs, cette nouvelle annonce vise à répondre aux défis persistants du secteur »
Alors que se tient actuellement le Salon International de l’Agriculture, la Commission européenne a levé le voile sur son ambitieuse vision pour l’agriculture et l’alimentation à l’horizon 2040. Une feuille de route prometteuse sur le papier, mais dont la mise en œuvre risque de se heurter à d’imposants écueils politiques et économiques. Entre simplification administrative, refonte de la Politique agricole commune, concurrence et nécessité de mieux rémunérer les agriculteurs, cette nouvelle annonce vise à répondre aux défis persistants du secteur.
« Depuis plusieurs années, l’agriculture française, et plus largement européenne, vacille sous le poids des contraintes »
Depuis plusieurs années, l’agriculture française, et plus largement européenne, vacille sous le poids des contraintes. Flambée des coûts de production (+30 % en moyenne sur les dix dernières années), difficiles conciliations avec les défis environnementaux, concurrence exacerbée des pays tiers (Etats-Unis, BRICS) : les agriculteurs peinent à maintenir leur activité à flot. Avec une diminution de 30 % du nombre d’exploitations agricoles en Europe depuis 2005 et un revenu moyen agricole inférieur de 50 % à celui des autres secteurs économiques, l’urgence d’une politique disruptive européenne est manifeste.
Colonne vertébrale du secteur, la PAC doit se réinventer. La Commission promet une politique « plus simple et mieux ciblée », avec des aides fléchées vers les exploitations les plus vulnérables et une approche incitative plutôt que contraignante en matière environnementale. Une intention louable, mais qui ne dissipe pas les inquiétudes : alors que la PAC représente 30 % du budget européen, certains États membres font pression pour réduire son enveloppe.
Or, chacun pourra admettre que vouloir multiplier les objectifs tout en restreignant les moyens relève d’une logique kafkaïenne.
« Retrouver une indépendance européenne revient à retrouver une souveraineté alimentaire, le vieux continent ne peut se contenter de défendre son marché, il doit aussi repenser son modèle agroalimentaire »
Retrouver une indépendance européenne revient à retrouver une souveraineté alimentaire, le vieux continent ne peut se contenter de défendre son marché, il doit aussi repenser son modèle agroalimentaire. La Commission prône un subtil équilibre entre compétitivité et résilience, tout en encourageant un retour à une agriculture plus locale, ancrée dans les terroirs. Une vision séduisante, mais encore floue dans sa mise en œuvre. Comment concrétiser ce projet sans perdre de terrain face aux géants du commerce mondial, et quelle place donner à l’innovation technologique ?
L’Union européenne pourrait déployer plusieurs leviers stratégiques pour renforcer sa position. D’abord, un investissement massif dans la formation, l’installation et l’accompagnement des jeunes agriculteurs est indispensable. Ensuite, un plan ambitieux de réindustrialisation agroalimentaire, incluant la relocalisation de certaines filières stratégiques comme la production de semences ou de machines agricoles, aujourd’hui dominées par des acteurs extra-européens.
Enfin, une régulation plus stricte des importations et une valorisation accrue des productions européennes sur la scène internationale. L’Union a les cartes en main pour imposer ses standards, à condition d’adopter un jeu offensif, sans naïveté face aux mastodontes du marché mondial.
Derrière ces interrogations se dessine une question fondamentale : quelle agriculture pour demain ? Une agriculture industrielle, mécanisée, tournée vers l’export ? Ou un modèle plus durable, centré sur la qualité et la proximité ?
A l’heure où les tensions agricoles s’intensifient, caractérisées par de réguliers et sporadiques blocages du monde agricole, Bruxelles peut-elle réellement reprendre la main ? Ou restera-t-elle empêtrée dans des compromis édulcorés ?
L’avenir nous dira si cette nouvelle feuille de route est une réelle avancée, un projet pour recréer de la confiance, ou un énième catalogue de bonnes intentions, négligemment laissé sur un coin de table.
Dans quelques heures, les dirigeants de la grande distribution monteront sur la scène du Salon de l’Agriculture, conviés par Karine Le Marchand – et porte voix autoproclamée du milieu agricole – pour un échange sans filtre, dans une rare conférence de presse. Alors que les négociations commerciales battent leur plein, et que les attentes des consommateurs se font toujours plus pressantes, cet échange représente une opportunité pour égrener des solutions concrètes, susceptibles de rassurer l’ensemble de la filière agroalimentaire.
La grande distribution saisira-t-elle cette occasion pour renouer avec ceux qui nourrissent la nation ?