Par Corentin Dattin, consultant senior chez CHEFCAB
Fumée blanche ! Après des semaines de passivité sans gouvernement, Alexis Kohler, depuis le perron de l’Élysée, a mis fin à une longue période d’attente en énumérant les noms des personnalités retenues pour entrer au gouvernement. Au jeu des chaises musicales, le Travail a pris le bon rythme : rattaché à la Santé au sein d’un portefeuille très large sous le gouvernement précédent, il retrouve son indépendance et une ministre de plein exercice. Pourtant, à y regarder de plus près, cette fumée a des tendances de gris à mesure qu’elle s’approche du champ compétences.
« Au jeu des chaises musicales, le Travail a pris le bon rythme : rattaché à la Santé au sein d’un portefeuille très large sous le gouvernement précédent, il retrouve son indépendance et une ministre de plein exercice. »
Les amateurs de travaux parlementaires le savent : Astrid Panosyan-Bouvet est loin d’être étrangère aux sujets travail et emploi. Alors que Catherine Vautrin s’est peu saisie de ces questions durant son passage rue de Grenelle, “APB” débarque en terrain familier. Très investie au cours des derniers mois dans le débat sur l’emploi des séniors, la nouvelle ministre du Travail et de l’emploi a également été l’une des figures des députés macronistes lors des discussions sur la réforme de l’assurance chômage. Une expertise qu’elle développe dans une vie antérieure, lorsqu’elle occupe pendant plusieurs années des responsabilités importantes à la direction des ressources humaines du groupe Unibail-Rodamco-Westfield. Voilà de quoi rassurer, alors que les quelques dossiers qui attendent sur son bureau nécessiteront de s’y atteler rapidement.
« Très investie au cours des derniers mois dans le débat sur l’emploi des séniors, la nouvelle ministre du Travail et de l’emploi a également été l’une des figures des députés macronistes lors des discussions sur la réforme de l’assurance chômage. »
Car si le ciel paraît grisâtre au-dessus du paysage des compétences, cela n’est pas totalement décorrélé du premier chantier qui occupera la ministre Panosyan-Bouvet : le vote du budget. Avant de rendre les clés de Matignon, Gabriel Attal et son gouvernement ont laissé quelques consignes aux locataires suivants : une enveloppe budgétaire totale pour 2025 identique à 2024 moyennant quelques ajustements, à commencer par les crédits consacrés à l’emploi et au travail. Le coup de rabot de près de 3 milliards préconisé par la précédente équipe gouvernementale sera discuté par le gouvernement Barnier et mis au débat parlementaire. Si des inflexions sont possibles, le ton est donné. Par ailleurs, depuis sa prise de fonction, Michel Barnier s’est peu exprimé sur la question du travail, ne reprenant pas à son compte la notion de “plein emploi”. S’il souhaite faire de la “revalorisation du travail” l’une de ses priorités, le Premier ministre a surtout centré ses premières prises de parole sur le poids de la dette publique. Dans la lignée de ses prédécesseurs issus de la droite, Michel Barnier souhaite incarner une forme de rigueur dans la gestion des finances publiques, synonyme de coupes budgétaires généralisées. Le 1er octobre, devant le Parlement réuni en congrès, le Premier ministre prononcera son discours de politique générale et détaillera les grandes lignes de sa feuille de route. Sept jours plus tard, son gouvernement présentera le projet de budget pour 2025. Deux dates clés qui apporteront leurs lots de réponses sur les moyens alloués au travail et à l’emploi pour les mois qui viennent.
« Par ailleurs, depuis sa prise de fonction, Michel Barnier s’est peu exprimé sur la question du travail, ne reprenant pas à son compte la notion de “plein emploi”. »
Alors que la durée de vie du gouvernement demeure incertaine, plusieurs dossiers patientent dans le champ social. Lancées par Carole Grandjean, reprises par Geoffroy de Vitry, les concertations avec les acteurs de l’apprentissage sont à l’arrêt depuis la démission du gouvernement. Outre le sujet de la qualité, des précisions sont attendues par les acteurs de la formation s’agissant de l’avenir des financements, à l’aune de l’objectif du million d’apprentis atteint. L’autre sujet sur lequel la nouvelle ministre devra se (re)pencher rapidement est celui des règles qui encadrent l’indemnisation des demandeurs d’emploi, le décret actuellement en vigueur arrivant à échéance le 31 octobre. Le durcissement des règles censé s’appliquer le lendemain pourrait être abandonné, en contrepartie de pistes d’économies demandées aux partenaires sociaux. Enfin, après des négociations engagées sur l’emploi des seniors dans le cadre du pacte de la vie au travail, le débat devrait être prochainement relancé. Au lendemain de l’échec du printemps dernier, les espoirs sont à nouveau permis de voir des mesures concrètes s’appliquer au regard de la sensibilité d’Astrid Panosyan-Bouvet sur ce sujet. La ministre, qui a suivi de près les discussions entre patronat et salariés, pourrait faire de l’emploi des seniors un marqueur de son passage au gouvernement. Encore faut-il en avoir le temps.