Par Corentin Dattin, consultant senior chez CHEFCAB

« S’en sont suivis d’autres législatives (2024) et des remaniements ministériels, qui ont bousculé le monde politique et mis au jour une problématique réelle : que faire après avoir été maire, parlementaire, ministre, collaborateur ou conseiller au sein d’un gouvernement ? »

Après 8 ans passés au Palais de l’Élysée au poste ultra stratégique de Secrétaire général de la présidence de la République, Alexis Kohler s’apprête à faire ses cartons. Le “SG” de l’Elysée, bras droit parmi les parmi les bras droits d’Emmanuel Macron, devrait rejoindre prochainement “SG”, la Société Générale. Ce passage du cœur du pouvoir au secteur de la finance devra d’abord être validé par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), institution chargée de veiller à l’absence de conflit d’intérêt. Ce ne sera pas une mince affaire, tant Alexis Kohler fut omniprésent sur chacun des dossiers ayant transité par la cour de l’Elysée depuis 2017. Le futur ex-secrétaire général de la présidence de la République est, néanmoins, loin d’être un cas isolé. Ils sont même légion depuis 2022 et les élections législatives qui ont vu une vague importante de députés élus en 2017 être battus et contraints de chercher un nouveau point de chute professionnel. S’en sont suivis d’autres législatives (2024) et des remaniements ministériels, qui ont bousculé le monde politique et mis au jour une problématique réelle : que faire après avoir été maire, parlementaire, ministre, collaborateur ou conseiller au sein d’un gouvernement ? 

« Le temps des politiques en fonctions pendant des décennies, gravissant les échelons du pouvoir mandat après mandat, a vocation à laisser sa place à des profils d’élus plus diversifiés, qui ont connu ou connaîtront une autre carrière professionnelle que leur mandat politique »

À la faveur du renouvellement du personnel politique, ce phénomène de reconversion des élus dans le secteur privé s’intensifie, et questionne parfois. En 2022, alors que le gouvernement dans lequel il occupe le poste de ministre des Transports n’est pas encore remplacé, Jean-Baptiste Djebbari annonce qu’il s’apprête à rejoindre Hopium, start-up spécialisée dans… les véhicules à hydrogène. Cet ancien pilote de ligne a fait de son expérience en politique (député, puis ministre) une parenthèse professionnelle, considérant “faire partie de cette génération qui avait rejoint Emmanuel Macron en 2017” et qui “peut retourner dans le privé, en respectant certaines règles”. La HATVP lui demandera effectivement de s’abstenir de toute démarche de représentation d’intérêts auprès d’une liste d’interlocuteurs définis. Cette tendance sous-tend une problématique plus globale de reconversion professionnelle du personnel politique. Tout comme le rapport au travail des Français évolue, celui du rapport des élus avec le pouvoir se modifie. Le temps des politiques en fonctions pendant des décennies, gravissant les échelons du pouvoir mandat après mandat, a vocation à laisser sa place à des profils d’élus plus diversifiés, qui ont connu ou connaîtront une autre carrière professionnelle que leur mandat politique. Plusieurs raisons justifient cela : une “précarisation” de la fonction d’élu, qui suscite moins d’intérêt que par le passé, en raison de l’instabilité du pouvoir qui fait disparaître le statut de “baron politique local” ; une complexification de l’exercice du mandat, particulièrement à l’échelle locale où les responsabilités ont fortement augmenté sans que les moyens suivent ; ou encore une fatigue administrative, voire une incompréhension, qui déséquilibre le rapport de force avec le secteur privé, perçu comme plus souple. 

« À l’heure où la fonction publique souffre de difficultés à recruter et à attirer des talents vers les concours ouvrant l’accès à ses métiers, l’une des pistes pourrait être, via la VAE, de faciliter l’accès des élus en fin de mandat aux postes ouverts dans la fonction publique »

Le rapport de la mission d’information du Sénat sur l’avenir de la commune et du maire, publié en juillet 2023, soulignait ainsi que « peu à peu, sous l’effet de la dégradation des conditions d’exercice du mandat municipal, l’écart se creuse entre les aspirations des élus municipaux et la réalité de leur mandat”. À titre d’exemple, à mi-mandat, 1 078 maires parmi ceux élus en 2020 avaient déjà démissionné volontairement. Dans ce contexte, une réflexion doit nécessairement s’engager afin de sécuriser les parcours des élus dont le mandat prend fin, pour que l’exercice de fonctions électives continue à susciter des vocations. L’Assemblée nationale s’apprête ainsi à reprendre l’examen d’une proposition de loi visant à instaurer un statut de l’élu local, qui entend s’attaquer à cette problématique. Son article 25 prévoit notamment de rendre automatique le bilan de compétences et la démarche de validation des acquis de l’expérience pour tout maire ou adjoint dont le mandat arrive à expiration. Véritables couteaux-suisse, les élus locaux souffrent aujourd’hui d’un manque de reconnaissance des compétences acquises dans le cadre de leur mandat, et cette mesure nouvelle contribuera assurément à se projeter dans l’avenir plus sereinement au moment d’envisager une reconversion professionnelle. D’autre part, à l’heure où la fonction publique souffre de difficultés à recruter et à attirer des talents vers les concours ouvrant l’accès à ses métiers, l’une des pistes pourrait être, via la VAE, de faciliter l’accès des élus en fin de mandat aux postes ouverts dans la fonction publique. Une telle disposition viendrait récompenser l’engagement de nos élus locaux, quel que soit le mandat, et limiterait tout risque de conflit d’intérêt lié au passage du public au privé. Enfin, une réflexion en faveur d’une simplification de l’usage du CPF pour l’ensemble des élus pourrait être envisagée. Une première mesure serait de lever la réglementation entourant l’usage des droits individuels à la formation, qui les contraint à s’inscrire dans une formation devant se terminer dans les 6 mois qui suivent la fin de leur mandat.