Par Léa Trentalaud, consultante senior chez CHEFCAB
« (…)François Bayrou, éphémère ministre de la justice au début du premier quinquennat, ne manque pas depuis 2017 de faire entendre ses critiques à l’endroit du Président de la République.»
Un peu plus d’une semaine après la censure du gouvernement Barnier ayant conduit à sa démission, le Président de la République a finalement nommé François Bayrou à Matignon. Si les bruits de couloir en faisaient l’un des favoris pour le poste, il semble pourtant que le Maire de Pau se soit imposé au Président, qui avait initialement porté son choix sur un autre candidat.
Malgré cette nomination à marche forcée, François Bayrou a été l’un des premiers à se rallier à la campagne d’Emmanuel Macron en 2017, renonçant à se présenter lui-même à l’élection présidentielle. En dépit d’un soutien de la première heure, la relation entre les deux hommes s’est complexifiée. Si Emmanuel Macron a besoin des élus du Modem et de leurs voix au Parlement, François Bayrou, éphémère ministre de la justice au début du premier quinquennat, ne manque pas depuis 2017 de faire entendre ses critiques à l’endroit du Président de la République. En février dernier, pressenti pour prendre la tête du ministère de l’Education nationale, celui qui était alors Haut-Commissaire au Plan avait ainsi refusé d’entrer au gouvernement sur la base d’une « différence profonde d’approche » avec le nouveau Premier ministre Gabriel Attal.
« Son premier défi consiste à composer un gouvernement équilibré, qui devra réunir assez largement pour éviter la censure.»
Sept ans après l’élection d’Emmanuel Macron, François Bayrou devient donc son Premier Ministre dans un contexte politique inédit, et la tâche s’annonce ardue. Son premier défi consiste à composer un gouvernement équilibré, qui devra réunir assez largement pour éviter la censure. Malgré un calendrier serré, le locataire de Matignon semble vouloir prendre son temps, négociant avec les différents partis politiques, et ayant d’ores et déjà annoncé la tenue de son discours de politique générale le 14 janvier prochain. Pourtant, il ne devrait pas y avoir de trêve des confiseurs en matière de gestion des comptes publics : selon les perspectives de l’INSEE présentées cette semaine, la croissance ne devrait être que de 0,2% en 2025, et les investissements des entreprises devraient également être atones, face à l’incertitude politique. En parallèle, l’agence de notation Moody’s vient de dégrader la note de sept banques françaises, estimant que « les finances publiques de la France seront considérablement affaiblies au cours des prochaines années » et que « la fragmentation politique risque davantage d’entraver une consolidation budgétaire significative ». Au-delà des agences de notation, coutumières des prévisions alarmistes, les partenaires sociaux ont faire preuve d’une rare unité – soulignant le caractère exceptionnel de la situation politique – en signant une déclaration commune pour alerter sur le risque d’une crise économique. L’ensemble des représentants des salariés et du patronat, à l’exception de la CGT, y mettent en lumière les « risques réels que l’instabilité génère », et appellent les élus et les responsables politiques à « retrouver au plus vite le chemin de la stabilité, de la visibilité et de la sérénité ». Si leurs désaccords sont mis sous le tapis, les partenaires sociaux plaident conjointement pour un renforcement du dialogue social, de la construction et du compromis.
« Le Premier ministre est donc sur une ligne de crête, et devra trouver un subtil équilibre entre son penchant pour la maîtrise des finances publiques (…) et la politique de l’offre déployée par le Président de la République (…). »
Dans ce contexte, la politique économique du gouvernement sera scrutée, et les désaccords entre le Président de la République et le Premier ministre pourraient se faire jour. Emmanuel Macron a ainsi largement encouragé la politique de l’offre depuis son arrivée au pouvoir, en réduisant les impôts de production et le taux d’impôt sur les sociétés, en supprimant l’ISF, ou encore en mettant en oeuvre la flat tax. Ces mesures visant à renforcer la capacité des entreprises à investir et innover, dont le coût est estimé à 60 milliards d’euros par an, ont façonné l’image d’un Président « pro business ». Pourtant, leur coût est difficilement compatible avec la dégradation des comptes publics que connaît le pays. Elles semblent également aller à l’encontre de la ligne politique de François Bayrou, qui a fait de la stabilité budgétaire son cheval de bataille tout au long de sa carrière politique. Le nouveau Premier ministre avait fait de la dette son « ennemie » lors de sa campagne présidentielle de 2007, quand au parlement, les députés de son parti ont défendu à plusieurs reprises des mesures en faveur de l’impôt sur les hauts revenus et sur les super profits, allant à l’encontre de la politique d’Emmanuel Macron. Le Premier ministre est donc sur une ligne de crête, et devra trouver un subtil équilibre entre son penchant pour la maîtrise des finances publiques – à même de rassurer les marchés financiers – et la politique de l’offre déployée par le Président de la République – appréciée des entreprises.
Si François Bayrou proposait avant son arrivée à Matignon la mise en place d’un « plan décennal » de retour à l’équilibre des comptes publics, il aurait pu profiter de son rôle de Haut-Commissaire au plan – exercé depuis 2020 – pour anticiper les grands défis à venir. Cependant, les 18 études produites depuis 4 ans ont été jugées « peu opérationnelles » par la commission des finances du Sénat, estimant qu’elles « ne présentent pas de valeur ajoutée pour la prise de décision publique ». Gageons que son action à Matignon sera plus tangible, et permettra de garantir la stabilité politique nécessaire au bon fonctionnement du pays.