Par Corentin Dattin, consultant senior chez CHEFCAB :
Le débat fait rage et l’inquiétude monte parmi les acteurs qui composent le paysage de la formation et de l’emploi. Voilà plusieurs mois que l’apprentissage est sous le feu des projecteurs, pointé du doigt par les uns pour son coût, défendu par les autres pour ses bienfaits sur l’emploi. Le débat budgétaire à l’Assemblée nationale à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2024 a été le théâtre de cette opposition. La modulation ou le recentrage des aides à l’apprentissage ont ainsi fait l’objet en vain de plusieurs tentatives parlementaires venant de la majorité. Après un nouveau recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, sans laisser le temps aux députés de débattre des crédits sur l’emploi et la formation, la Première ministre passe le flambeau aux sénateurs qui ont désormais la main pour détricoter le texte budgétaire du gouvernement.
« Voilà plusieurs mois que l’apprentissage est sous le feu des projecteurs, pointé du doigt par les uns pour son coût, défendu par les autres pour ses bienfaits sur l’emploi. »
À l’heure de s’interroger sur l’efficacité de nos politiques sociales sous le prisme de leur coût, il est toujours bon de prendre un peu de hauteur sur l’évolution de notre trajectoire. En l’espèce, la littérature scientifique et sociologique nous nourrit utilement, à l’image des récentes études publiées par l’Institut des politiques publiques (IPP) et l’INSEAD. Que disent-elles ? En s’intéressant à la mobilité intergénérationnelle de revenus en France, l’IPP nous éclaire sur le fonctionnement de “l’ascenseur social” tricolore, auquel contribue les mesures en faveur de l’enseignement et de la formation. L’Institut a étudié les destins économiques des enfants nés en France métropolitaine entre 1972 et 1981, soit une génération qui n’a pas, ou très peu, connu la filière apprentissage. L’étude révèle de fortes disparités entre les enfants de familles aux revenus les plus faibles et ceux de familles aux revenus les plus élevés. Plus précisément, les auteurs observent que “seuls 9,7 % des enfants issus des 20 % des familles aux revenus les plus faibles se retrouvent parmi les 20 % des ménages les plus aisés à l’âge adulte”. Deux facteurs majeurs sont à l’origine de la faible mobilité intergénérationnelle de revenus observées chez ces Français aujourd’hui âgés entre 42 et 51 ans : l’inégalités d’accès aux études supérieures en fonction du revenu et le département d’enfance des populations étudiées. Ainsi, les enfants issus de familles de l’ouest de la France ou des départements limitrophes de la Suisse ont connu une mobilité intergénérationnelle de revenus plus importante que des enfants ayant grandi dans les départements du Nord et de la côte méditerranéenne.
« Classée 7ème pour la production de talents, la France est particulièrement reconnue pour sa formation tout au long de la vie, qui se positionne sur la 3ème marche du podium. »
En face de ce travail réalisé par l’IPP auprès des 70’s, l’Insead dévoile cette semaine son Global Talent Competitiveness Index. La France y figure à la 19ème position des pays qui attirent le plus de jeunes talents, sur les 134 étudiés. En s’appuyant sur des critères comme le droit du travail, la protection sociale, la parité ou la productivité au travail par actif, l’étude tire des conclusions flatteuses à l’adresse du système français de formation. Classée 7ème pour la production de talents, la France est particulièrement reconnue pour sa formation tout au long de la vie, qui se positionne sur la 3ème marche du podium. L’INSEAD ne dit pas explicitement que ces bons résultats sont le fruit des mesures successives en faveur de l’apprentissage, de la formation des salariés ou de la modernisation de l’appareil de formation, mais on peut légitimement leur attribuer un impact positif qui se ressent dans ce classement.
« L’apprentissage semble également ouvrir la voie à des gains salariaux supplémentaires non-négligeables lors des premières années de travail. »
Si la mobilité intergénérationnelle de revenus s’est avérée en panne pour les générations précédentes, la France semble avoir pris le train en marche pour les suivantes. Et puisque la littérature nous éclaire, citons les conclusions de l’étude de l’association Walt sur l’impact socio-économique de l’apprentissage, qui affirme que celui-ci “augmente significativement la probabilité pour un jeune issu d’un milieu modeste de poursuivre des études supérieures”. Levier vers l’emploi, l’apprentissage semble également ouvrir la voie à des gains salariaux supplémentaires non-négligeables lors des premières années de travail.
Alors que Carole Grandjean a annoncé une réforme structurelle du financement de l’apprentissage, après des concertations que son cabinet mènera dans les prochaines semaines, tous les regards se tourneront alors vers l’évaluation de la performance des actions en faveur de l’accès à la compétence et à l’emploi. Le rapport coût/avantage risque bien de faire chauffer les calculettes.