Par Léa Trentalaud, consultante senior chez CHEFCAB

« Après moult consultations, rumeurs et noms distillés dans la presse c’est finalement Michel Barnier qui a réussi à s’imposer auprès du chef de l’Etat, (…). »

Près de deux mois après le deuxième tour des élections législatives anticipées, ayant vu la gauche arriver en tête, Emmanuel Macron a finalement tranché et nommé un Premier ministre issu de la droite. Après moult consultations, rumeurs et noms distillés dans la presse c’est finalement Michel Barnier qui a réussi à s’imposer auprès du chef de l’Etat, et à qui incombe la lourde tâche de former un nouveau gouvernement. Le Président de la République a visiblement envisagé diverses hypothèses, oscillant au centre-gauche avec Bernard Cazeneuve, en passant par la société civile avec Thierry Beaudet, Président du CESE, et allant jusqu’à la droite de l’échiquier politique, avec les hypothèses Xavier Bertrand, puis finalement Michel Barnier. Ces tergiversations résultent de l’absence de majorité claire à l’Assemblée nationale, en effet, aucune coalition ni aucun parti ne peut revendiquer la majorité absolue.

« Avec la nomination de Michel Barnier, Emmanuel Macron érige également le Rassemblement National en arbitre politique, ayant droit de vie ou de mort sur son futur gouvernement, alors qu’il comptait justement sur la dissolution pour regagner du terrain face au parti d’extrême droite»

En cela, le choix de Michel Barnier peut surprendre ; Les Républicains n’ont ainsi obtenu que 39 députés, à l’issue d’une campagne qui a vu le parti se fracturer autour de l’alliance surprise de son président, Eric Ciotti, avec le Rassemblement National. On peut ainsi s’interroger sur la légitimité d’un Premier ministre issu des rangs de LR, et sur sa capacité à rassembler assez largement autour de lui pour gouverner. Avec la nomination de Michel Barnier, Emmanuel Macron érige également le Rassemblement National en arbitre politique, ayant droit de vie ou de mort sur son futur gouvernement, alors qu’il comptait justement sur la dissolution pour regagner du terrain face au parti d’extrême droite. En effet, fort de ses 125 députés, le parti à la flamme avait annoncé qu’il censurerait automatiquement tout gouvernement conduit par Xavier Bertrand, le président de la région Hauts-de-France s’étant auto-proclamé « ennemi numéro 1 du RN ». Pour ce qui est de Michel Barnier, le RN a fait savoir qu’il « jugerait sur pièce » le nouveau Premier Ministre, sur la base de son discours de politique générale. Si Michel Barnier s’est toujours tenu éloigné du RN, il a cependant régulièrement exprimé des positions très droitières sur l’immigration. Lors de sa campagne pour la primaire des Républicains en 2022, le RN accusait même M. Barnier de « plagiat », alors qu’il proposait un « moratoire sur l’immigration », et la possibilité de sortir de certains mécanismes européens afin de fixer des « quotas d’étrangers » accueillis en France. Des positions très proches de celles proposées par la candidate Marine Le Pen, et pour le moins surprenantes, pour ne pas dire populistes, émanant d’un poids lourd de l’Union européenne, deux fois commissaire, puis négociateur en chef du Brexit. Gageons que son expérience européenne, et sa capacité reconnue à créer du consensus à Bruxelles, lui seront précieuses face à une assemblée nationale morcelée, et partiellement hostile.

« Présenté comme un chantre de l’orthodoxie budgétaire, on imagine difficilement Michel Barnier défier les règles européennes et creuser encore les déficits. »

Parmi les chantiers prioritaires du nouveau Premier ministre, au-delà de la formation du gouvernement de cohabitation qui s’annonce complexe, la présentation du budget sera tout aussi périlleuse. Le projet de loi de finance doit en effet être présenté au Parlement au plus tard le premier octobre, et s’inscrit dans un contexte budgétaire particulièrement tendu avec un risque de déficit à 5,6% en 2024, surveillé de près par Bruxelles. Présenté comme un chantre de l’orthodoxie budgétaire, on imagine difficilement Michel Barnier défier les règles européennes et creuser encore les déficits. Aussi, il est fort à parier que le nouveau gouvernement ne reniera pas les lettres-plafond envoyées par Gabriel Attal aux ministres démissionnaires, fixant les budgets 2025 des différents ministères. En cela, les secteurs de l’emploi et de la formation professionnelle pourraient bien entrer en zone de turbulence, avec 3 milliards d’euros d’économies prévus en 2025. Celles-ci devraient notamment se matérialiser par une réforme des aides à l’apprentissage, qui pourrait signer la fin de la prime à l’embauche d’un alternant, s’élevant actuellement à 6 000 euros. Les niveaux master et plus devraient être concernés au premier chef. Le financement de la VAE et du FNE-Formation sont aussi mis à l’épreuve, de même que le budget de France Travail, qui devrait être revu à la baisse. Ces économies – à ce stade purement indicatives – devront être confirmées ou infirmées par le nouveau gouvernement, et passer l’épreuve du Parlement. Alors que le plein-emploi est érigé en priorité par le chef de l’Etat, des restrictions budgétaires majeures sur les crédits du ministère du Travail enverraient un signal particulièrement négatif, et mettraient à mal la diminution effective du taux de chômage. 

Reste à savoir si Michel Barnier s’inscrira dans une vraie logique de cohabitation, manoeuvrant à contre-courant des orientations du Président de la République et poussant les idées de son camp, ou s’il privilégiera une « coalition », expression distillée ces derniers jours par l’Elysée, sous-entendant une part de coalition entre le Président et son Premier ministre.