Par Alexandra Gaboriau, consultante chez CHEFCAB
Alors que la France ambitionne de renouer avec une industrie forte, la défense s’impose comme un levier clé de la réindustrialisation. Avec 4 500 entreprises et 200 000 emplois, ce secteur constitue l’une des rares filières où la souveraineté nationale se conjugue encore avec un savoir-faire industriel d’excellence. Mais si l’Hexagone est aujourd’hui « le pays le mieux positionné » en Europe, selon Marc Ferracci, ministre chargé de l’Industrie et de l’Énergie, la montée en puissance exigera une refonte à long terme des stratégies d’investissement pour garantir la pérennité de cette filière
Depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, la démonstration a été faite : lorsque l’orage militaire gronde, les industriels français répondent présents. En multipliant par trois la production de canons César et par quatre celle des missiles, les entreprises du secteur ont prouvé leur capacité à augmenter rapidement la cadence. Mais cette montée en charge a reposé avant tout sur des commandes publiques exceptionnelles, orchestrées dans l’urgence.
Dans cette optique, la réunion qui s’est tenue ce jeudi 20 mars à Bercy, en présence du ministre des Armées, Sébastien Lecornu, et d’Éric Lombard, ministre de l’économie, a réuni banques, assurances et fonds d’investissement pour réfléchir à de nouvelles solutions de financement. Cette entrevue avait notamment vocation à avancer des pistes pour mobiliser l’épargne privée et orienter les capitaux vers l’industrie de défense, un secteur encore délaissé par de nombreux investisseurs en raison des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Parmi les mesures avancées, le gouvernement envisage l’investissement privé dans la défense via des dispositifs comme les fonds gérés par Bpifrance.
«Si l’État mobilise déjà des fonds publics, des mesures incitatives complémentaires pourraient aussi séduire les investisseurs privés.»
L’introduction d’avantages fiscaux, tels que des exonérations ou réductions d’impôt sur l’IR ou l’IFI pour les particuliers investissant dans la défense, pourrait représenter une solution. Aussi, la création d’un produit d’épargne dédié, à l’image du Livret A ou du Plan Épargne Retraite, permettrait de structurer l’investissement dans ce secteur.
Mais restons lucides : l’un des principaux freins à l’investissement privé dans la défense repose sur des considérations éthiques, alors même que la taxonomie européenne l’a longtemps reléguée au rang de secteurs controversés, aux côtés de la pornographie. Il conviendrait alors de mener une campagne nationale de sensibilisation d’envergure pour mettre en avant l’impact économique et sécuritaire de l’industrie de défense, notamment en termes de création d’emplois, d’innovation et de maintien du tissu industriel. Cette stratégie de « fléchage moral » permettrait d’associer l’investissement à une démarche de protection nationale. D’autant qu’une révision des critères ESG peut aussi être envisagée afin d’intégrer la défense comme un secteur compatible avec les principes d’investissement responsable, pouvant s’appuyer sur un label « Défense responsable » qui rassurerait les investisseurs.
«Mais au-delà des enjeux financiers, c’est la pérennité du tissu industriel qui conditionne la souveraineté de la France en matière de défense.»
Cela suppose non seulement des financements adaptés, mais aussi une visibilité sur les commandes à long terme. Pour que les industriels s’engagent dans des investissements d’ampleur, ils doivent pouvoir compter sur un soutien public constant et sur une stratégie européenne concertée.
En effet, si l’on se penche sur les données du Baromètre industriel de l’État publié le 13 mars 2025, le secteur de la défense ne compte qu’une seule ouverture nette de site industriel en 2024. Alors que certains secteurs, comme l’industrie verte (+27) ou l’agroalimentaire (+20), connaissent une forte dynamique, la défense peine à générer de nouvelles implantations industrielles. À ce titre, le projet de loi de simplification de la vie économique, qui sera examiné à l’Assemblée nationale début avril, pourrait constituer un cadre propice à l’assouplissement des contraintes qui pèsent sur le secteur. Ce texte, qui vise à réduire les charges administratives notamment dans l’accès à la commande publique, et à accélérer les procédures industrielles, pourrait offrir des leviers pour fluidifier l’implantation de nouveaux sites et faciliter l’accès des entreprises de défense aux dispositifs de soutien public et privé.
Présidée par le député Renaissance Charles Rodwell, la commission d’enquête à l’Assemblée nationale sur freins liés à la réindustrialisation pourra également contribuer aux débats parlementaires. Elle pourra ainsi proposer des mesures spécifiques à l’industrie de défense, un maillon essentiel sous pression, dans un contexte où l’économie de guerre impose son tempo et met les entreprises du secteur à rude épreuve.
Entre financements innovants, coordination européenne et planification industrielle, les décisions prises aujourd’hui façonneront les capacités de production de demain.