Par Nicolas Citti, consultant chez CHEFCAB
Lorsque l’imprimerie a vu le jour au XVe siècle, elle a bouleversé l’ordre établi, transformé les sociétés en démocratisant la connaissance, en amplifiant la diffusion des idées et en ôtant le savoir des mains du pouvoir religieux. Cette innovation a autrefois soulevé de profondes questions morales et éthiques. Comment encadrer ce flot de nouvelles informations ? Comment protéger les esprits de la manipulation ? Dans quelle mesure la diffusion d’idées par le livre est-elle bénéfique, ou propice aux dérives intellectuelles ? Aujourd’hui, alors que les systèmes d’intelligence artificielle générative font leur entrée dans notre quotidien, tant dans notre vie personnelle que professionnelle -, nous sommes confrontés à des interrogations similaires quant à leurs régulations, amplifiées par une technologie toujours plus poussée, avec des mises à jour en continu.
« Cette révolution, bien que porteuse de progrès spectaculaires, pose des défis éthiques d’une ampleur inédite. »
En effet, l’intelligence artificielle s’infiltre dans tous les domaines : la politique, l’économie, l’éducation, la culture, le travail ou encore la science. Sa capacité à traiter des quantités importantes de données, à simuler des conversations humaines, voire à générer du contenu visuel et créatif, fascine autant qu’elle inquiète. Cette révolution, bien que porteuse de progrès spectaculaires, pose des défis éthiques d’une ampleur inédite.
L’une des premières questions soulevées par l’intelligence artificielle est celle de l’équité. En effet, les technologies de l’IA ont le potentiel d’aggraver les fractures numériques et cognitives, non seulement entre les pays, mais aussi au sein des sociétés nationales elles-mêmes. L’accès inégal aux technologies de pointe crée un fossé entre ceux qui maîtrisent ces outils – où qui possèdent le capital nécessaire pour se les procurer – et ceux qui en sont privés. Ce clivage n’est pas seulement technique, il est aussi intellectuel. Dans un monde où la maîtrise de l’IA devient une compétence clé, ceux qui n’y sont pas formés risquent de se retrouver marginalisés, dépossédés de leur rôle dans la société. Il existe dès lors un
réel risque que l’utilisation de l’IA devienne l’apanage des élites culturelles, et que le capital intellectuel ne devienne la seule clé pour évoluer dans cette nouvelle société.« Que l’Education Nationale se saisisse enfin de ces nouvelles interrogations, et de ce nouveau savoir aussi fondamental aujourd’hui que l’étaient hier les Humanités ! »
Afin d’anticiper ces risques, il sera crucial, dans un premier temps – alors que nous sommes encore qu’au balbutiement technologique – de renforcer l’éducation numérique pour permettre à chacun de comprendre et de maîtriser ces nouveaux outils. Que l’Education Nationale se saisisse enfin de ces nouvelles interrogations, et de ce nouveau savoir aussi fondamental aujourd’hui que l’étaient hier les Humanités ! Sans cela, l’intelligence artificielle pourrait amplifier des phénomènes en accélération tels que la désinformation ou la manipulation de l’opinion publique, à travers des utilisations malveillantes des algorithmes.
Par ailleurs, les États doivent absolument veiller à ce que les systèmes génératifs soient transparents, régulés, voire vulgarisés. Les entreprises privées, en particulier celles qui développent et commercialisent ces technologies, doivent être tenues de respecter ces conditions. Il ne s’agit pas seulement d’éviter les dérives – fuite de données d’utilisateurs, algorithmes méconnus, création de fausses informations ou d’images – mais aussi de promouvoir une utilisation responsable et inclusive de l’IA.
En matière d’actions collectives à envisager, il faut encourager une transparence totale dans l’utilisation quotidienne des outils d’IA. A l’heure où les chats conversationnels se multiplient, chaque citoyen doit savoir quand il interagit avec une machine et non un être humain, et avoir la possibilité de refuser cette interaction si celui-ci le souhaite. Enfin, il est impératif de favoriser une coopération internationale pour établir des règles communes en matière d’éthique de l’IA. L’innovation ne doit pas être réservée à une élite.
« Sans une réflexion éthique profonde et une large réflexion collective, nous risquons de voir émerger une société où les inégalités se creusent, où la confiance s’effrite et où l’espace laissé à la réflexion humaine s’amoindrit. »
L’intelligence artificielle, comme l’imprimerie en son temps, peut être un accélérateur sans précédent du génie humain. Mais il est essentiel, pour cela, de mieux l’encadrer, voire de l’apprivoiser, et surtout de veiller à ce qu’elle serve les intérêts de tous. Sans une réflexion éthique profonde et une large réflexion collective, nous risquons de voir émerger une société où les inégalités se creusent, où la confiance s’effrite et où l’espace laissé à la réflexion humaine s’amoindrit.
Il est de notre devoir, en tant que Cité, de veiller à ce que cette révolution technologique serve le bien commun et respecte nos valeurs fondamentales, fondées avant tout sur l’humain.