Par Corentin Dattin, consultant senior chez CHEFCAB


« Je vois plutôt une figure de la société civile, qui portera un projet de justice sociale, je pense à Laurent Berger »

Sa proposition aura surpris tout le monde, à commencer par le premier concerné. Le 10 juin, au lendemain de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République, Raphaël Glucksmann s’exprime sur le plateau d’Anne Sophie Lapix. À la question “serez-vous Premier ministre”, le candidat PS apporte une réponse pour le moins détonante : “je vois plutôt une figure de la société civile, qui portera un projet de justice sociale, je pense à Laurent Berger”.

Un ancien secrétaire général de la CFDT pour prendre les rênes du gouvernement ? L’idée est en tout cas posée, et Laurent Berger mettra précisément deux semaines avant d’y réagir publiquement. Dans les colonnes du Monde, il décline la proposition formulée à la volée par l’élu socialiste. Pour autant, cette séquence a le mérite de mettre sur la table une question loin d’être anecdotique, particulièrement en cette période de division profonde de la population : quel rôle les partenaires sociaux seront-ils amenés à jouer selon la couleur politique qui teintera le futur gouvernement ?

« Dans un paysage sans majorité politique claire, l’influence des syndicats pourra donc être notoire. »

À y regarder de plus près, et à l’aune des 3 scénarios mis en avant par les instituts de sondages, la place et le poids des syndicats dans la prise de décision publique varieront indéniablement. Scénario 1 : le camp macroniste, le Nouveau front populaire et les groupes d’extrême droite se partagent les bancs de l’Assemblée sans domination franche de l’un ou de l’autre. Dans cette configuration, il est fort à parier que le choix du Premier ministre se tournera vers un profil que Raphaël Glucksmann appelle de ses vœux, à savoir consensuel dans l’opinion et ayant démontré par le passé des capacités d’écoute et de dialogue. Dès lors, on peut imaginer que les partenaires sociaux occuperont une position stratégique dans les débats, voire même disposeront d’une capacité de faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre. Dans un paysage sans majorité politique claire, l’influence des syndicats pourra donc être notoire.

« Le Medef ne s’en cache pas : Patrick Martin déclarait il y a quelques jours que les propositions du RN et du NFP “apparaissent inappropriées et même dangereuses pour l’économie française, la croissance et l’emploi”. »

Dans le scénario 2, le pari qu’a fait le Nouveau front populaire s’avère payant. La gauche remporte une majorité de sièges dans l’hémicycle, et se voit offrir le fauteuil de Matignon. Dans ce cas, peu de doutes persistent sur le rôle que les partenaires sociaux endosseraient au sein du débat public. Dès la première phrase du préambule de son programme de gouvernement, le Nouveau front populaire se décrit comme le rassemblement “des femmes et des hommes issus d’organisations politiques, syndicales, associatives et citoyennes qui s’unissent pour construire un programme de rupture avec la politique d’Emmanuel Macron, répondant aux urgences sociales, écologiques, démocratiques et pour la paix”. Plus loin, au volet Défendre les libertés publiques, le NFP affirme vouloir “défendre et renforcer les libertés syndicales et associatives et en finir avec leur répression”. Historiquement proche du milieu syndical salarié, ce dernier serait étroitement associé à la politique du gouvernement en cas de victoire de la gauche. Difficile néanmoins d’en dire de même pour le patronat, qui compose le paysage des partenaires sociaux. Le Medef ne s’en cache pas : Patrick Martin déclarait il y a quelques jours que les propositions du RN et du NFP “apparaissent inappropriées et même dangereuses pour l’économie française, la croissance et l’emploi”. Par conséquent, un changement dans les rapports de force syndicaux s’observerait. Après avoir eu l’oreille attentive du gouvernement depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron en 2017, le patronat perdrait la possession du ballon, occupant désormais la position de celui qui doit contester et défendre son camp. 

« Sur ce point, patronat comme syndicat semblent se rejoindre avec un consensus autour du rejet de RN. »

Enfin, dans le dernier scénario qui se dessine, l’extrême droite obtient une majorité absolue de députés et Jordan Bardella pose ses cartons à Matignon. Pour Laurent Berger, “la première urgence” est d’éviter cette situation car “le RN est l’antithèse des valeurs de la République et représente un danger pour notre démocratie”. Sur ce point, patronat comme syndicat semblent se rejoindre avec un consensus autour du rejet de RN. Ces derniers jours, le parti à la flamme a néanmoins choisi son camp, celui du patronat. Les annonces successives de baisse d’impôts de production, de suppression de la CVAE et de l’impôt sur les bénéfices pendant 5 ans pour les entreprises créée par un jeune de moins de 30 ans, ou encore l’exonération d’impôts sur les transmissions de petites entreprises ont eu pour objectif de rassurer un milieu économique hostile et inquiet à l’idée de voir le président du RN assurer la conduite de la politique intérieure. Du côté des syndicats salariés, la neutralité laisse place ces derniers jours à l’engagement militant : de la CGT à la CFDT, en passant par la FSU, les organisations syndicales se mobilisent pour faire barrage au RN, à travers des consignes de vote ou en distribuant des tracts. Cela donne le ton de la fracture qui verra le jour entre les corps intermédiaires et le gouvernement si le RN venait à s’imposer au soir du 7 juillet.