Par Léa Trentalaud, consultante senior chez CHEFCAB

« Les exemples italiens et hongrois nous montrent que cette préférence teintée de xénophobie est difficilement applicable dans les faits.  »

A quelques jours du second tour des élections législatives, et à l’heure où le Rassemblement National n’a jamais été aussi proche du pouvoir, l’observation des politiques menées par les alliés du parti à travers l’Europe nous donne un aperçu de ce qui pourrait advenir demain en France.

Alors que le RN fait de la “priorité nationale” le point cardinal de son programme, notamment s’agissant de l’accès à l’emploi, les exemples italiens et hongrois nous montrent que cette préférence teintée de xénophobie est difficilement applicable dans les faits. 

Ainsi, nos voisins italiens ont porté au pouvoir en 2022 Giorgia Meloni, cheffe du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, sur la base d’une campagne anti-immigration féroce. Cependant, une fois arrivée à la présidence du conseil, cette dernière a finalement accordé 450 000 titres de séjour, sous la pression de la Confindustria, la puissante confédération des entreprises italiennes. En effet, plus de 2 millions de postes n’étaient pas pourvus en Italie en 2023, forçant la dirigeante à renier ses promesses initiales. En Hongrie, le Premier ministre Viktor Orban, au pouvoir depuis près de 14 ans sous l’étiquette du parti “national-conservateur” Fidesz, a déployé une politique migratoire extrêmement sévère, en bâtissant des clôtures aux frontières du pays, et en se retirant des mécanismes de solidarité européens. Malgré ces barrières physiques, non sans rappeler le “mur” promis par Donald Trump, ou plus proche de nous la “double frontière” prônée par le RN, M. Orban a tout de même discrètement publié un décret pour autoriser la venue de “travailleurs invités”, là encore, sous la pression des entreprises hongroises privées de main d’œuvre étrangère. 

« Rien qu’en Ile-de-France, 50% des cuisiniers et 40% des employés de l’hôtellerie sont issus de l’immigration. »

En France, la main-d’œuvre immigrée fait tourner bon nombre de secteurs économiques. Rien qu’en Ile-de-France, 50% des cuisiniers et 40% des employés de l’hôtellerie sont issus de l’immigration. A l’échelle nationale, ils représentent également 27% des ouvriers non qualifiés du BTP, et 20 à 25% des employés de l’aide à domicile, secteurs particulièrement en tension. La fédération des particuliers employeurs (FEPEM) a d’ailleurs chiffré ses besoins d’ici 2030 à 800 000 emplois supplémentaires. Parmi ces travailleurs immigrés, nombre d’entre-eux sont en attente de titres de séjour durables. Avec la volonté du RN de “réduire drastiquement l’immigration légale”, et de durcir les obligations imposées aux employeurs souhaitant obtenir une autorisation de travail pour des salariés étrangers, le bon fonctionnement de plusieurs filières économiques pourrait être mis à mal. Quant aux salariés étrangers en attente de régularisation ou sans-papiers, ils pourraient rester plus longtemps dans l’incertitude ou l’illégalité, sans possibilité aucune de dénoncer des conditions de travail dégradées.

D’un point de vue social, l’Italie s’est tristement illustrée par la suppression du revenu de citoyenneté, équivalent de notre RSA, seul minimum social existant dans le pays et qui avait permis à près d’un million de personnes de sortir de la pauvreté. Ironie de l’histoire, Giorgia Meloni a choisi le 1er-mai, jour de la fête du travail, pour annoncer la mise en place de cette mesure. Cette prestation sociale a été en partie remplacée par une allocation d’insertion, mais selon une étude de la Commission européenne, celle-ci concerne 40% de bénéficiaires en moins parmi les familles de nationalité italienne, et 66% pour celles d’autres nationalités. Au-delà de la préférence nationale clairement assumée par la Présidente du conseil, cette mesure devrait entraîner une hausse massive du taux de pauvreté, selon la même étude de la Commission européenne.  

« La Hongrie est désormais classée avant dernier pays le plus corrompu de l’Union Européenne. »

En Hongrie, outre la politique migratoire ambivalente, la corruption est devenue légion depuis l’arrivée d’Orban aux responsabilités : les entreprises dirigées par des proches du pouvoir se sont vues attribuer la majorité des marchés publics, et ont pu  bénéficier de nombreuses subventions en dehors de tout cadre légal. La Hongrie est désormais classée avant dernier pays le plus corrompu de l’Union Européenne. Le pays a également écopé d’une amende de 1,5 milliards d’euros de la part du Parlement européen pour gestion irrégulière des fonds communautaires, et détournement des fonds issus de la politique agricole commune au profit de proches du Premier ministre. Enfin, la préférence nationale s’est traduite en Hongrie par l’expulsion d’entreprises étrangères, à l’instar de Veolia et Suez, qui géraient les services des eaux de la capitale, ou encore de Sodexo, qui jouissait d’un important marché pour la fourniture de titres-restaurant.

Lors de son grand oral devant les chefs d’entreprises réunis par le MEDEF le 21 juin dernier, Jordan Bardella a débuté son intervention en tentant d’amadouer son auditoire, déclarant ainsi « j’ai compris en venant ici devant vous qu’il fallait que je rassure les milieux économiques ». L’avenir nous dira si le Rassemblement National a réussi à les rassurer, mais les politiques menées par les amis du parti à la flamme à travers l’Europe ont pourtant de quoi nous préoccuper.