Par Camille Bourgeois, consultante chez CHEFCAB

« À l’issue de cette période électorale expresse, c’est donc avec une Assemblée divisée en trois blocs distincts qu’il nous faudra composer. »

En annonçant la tenue d’élections législatives anticipées, l’objectif du Président de la République était de clarifier les équilibres politiques en présence au sein du Palais Bourbon. Résultat des courses : aucune majorité ne se dégage et l’Assemblée nationale, à l’image des votes polarisés des français, apparaît plus fragmentée que jamais.

Le Rassemblement national, ne comptera “que” sur 143 députés pour défendre son programme, loin de la majorité absolue espérée par Marine Le Pen et Jordan Bardella. Rappelons tout de même que le parti comptait 8 sièges avant les élections législatives de 2022. En deux ans et un mois, cette formation politique est incontestablement devenue un réel contre-pouvoir au sein d’une Assemblée sans majorité claire. Si le parti du Président de la République réunit quant à lui 163 sièges, la grande surprise de ces élections reste sans doute le score atteint par la coalition de gauche, le Nouveau Front Populaire, permettant à 180 députés de siéger dans cette Assemblée plurielle. À l’issue de cette période électorale expresse, c’est donc avec une Assemblée divisée en trois blocs distincts qu’il nous faudra composer. Seul un travail de coalition et de compromis au cas par cas permettra à nos députés de légiférer.

« Last but not least, jamais le 49.3, qui confère au Premier ministre la possibilité de faire passer un texte sans vote des députés, n’avait été autant mobilisé depuis 1991 et la démission de Michel Rocard. »

Cette situation n’est pas sans rappeler les deux années écoulées. Depuis 2022, la mise en œuvre de réformes structurelles a en effet souffert de l’absence de majorité absolue. Les gouvernements successifs ont dû composer avec des alliances changeantes et des compromis permanents pour faire adopter leurs projets de loi. Certains textes ont même vu leur examen à l’Assemblée déprogrammé afin de privilégier la voie réglementaire, le gouvernement considérant qu’aucun compromis efficace ne pourrait ressortir de débats parlementaires. Last but not least, jamais le 49.3, qui confère au Premier ministre la possibilité de faire passer un texte sans vote des députés, n’avait été autant mobilisé depuis 1991 et la démission de Michel Rocard.

Or, s’il y a des secteurs qui auront souffert de ces divisions programmatiques fortes, des coalitions politiques fragiles et de l’absence de débats souhaitée par l’exécutif, c’est bien ceux du social et de l’emploi. La réforme des retraites par exemple, dont la principale mesure était le recul de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, a provoqué de nombreuses manifestations en France et la tenue d’échanges plus que tendus au sein de l’Assemblée. Après des semaines de débats parlementaires sans consensus, Elisabeth Borne avait finalement opté pour l’emploi du 49.3… pour la onzième fois en quatre mois.

« La capacité de cette nouvelle Assemblée, plus divisée que jamais, à naviguer vers une politique sociale unifiante et consensuelle constitue un enjeu de taille. »

Restés sur leur faim, le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national s’étaient alors engagés, dès le lancement de la campagne législative, à revenir sur la réforme de 2023. Aussitôt dit, aussitôt fait : la coalition de gauche annonçait au lendemain des résultats sa volonté d’abroger la réforme des retraites par décret afin d’éviter la tenue de nouveaux débats à l’Assemblée. Cette possibilité a cependant été abandonnée, puisque seul le vote d’une nouvelle loi pourra permettre d’abroger le texte controversé. La rentrée de nos parlementaires s’annonce donc mouvementée, d’autant que la réforme de l’Assurance chômage adoptée cette année devrait connaître le même sort dans les prochains mois.

La capacité de cette nouvelle Assemblée, plus divisée que jamais, à naviguer vers une politique sociale unifiante et consensuelle constitue un enjeu de taille. Cela vaut dans un premier temps à l’échelle du secteur de l’emploi : au-delà du rétropédalage sur les réformes évoquées plus haut, l’année 2025 s’annonce en effet déterminante avec la généralisation à l’ensemble du territoire du dispositif France Travail et de la réforme du RSA.

« Menaçant le pays d’immobilité voire d’instabilité, cette Assemblée 2.0 encore plus divisée fait craindre une polarisation et des frustrations exacerbées au sein de l’ensemble de la société. »

Mais cette capacité à s’entendre malgré les divergences constitue également un enjeu plus global. Il est clair que nos deux années d’expérience d’une Assemblée sans majorité ont un bilan pour le moins mitigé. Menaçant le pays d’immobilité voire d’instabilité, cette Assemblée 2.0 encore plus divisée fait craindre une polarisation et des frustrations exacerbées au sein de l’ensemble de la société. Or, les polarisations et frustrations des derniers mois n’ont-elles pas participé à l’émergence du Rassemblement national comme l’une des principales forces politiques françaises ? 2027 arrive vite, et l’avenir de notre pays dépend largement de l’aptitude de l’Assemblée à déjouer les pièges de la fragmentation politique.